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La Chasse en Indo-Chine
Auteur : Lucien ROUSSEL

Edition originale : Paris : Plon, Nourrit et Cie, 1913, In-16°, IV-319 p.

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Présentation de l'éditeur

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Cet ouvrage rare et fascinant est paru à l’origine en 1913. Comprenant des observations personnelles, enregistrées au cours de longs séjours en Indochine, l’auteur a essayé de documenter le public sur tout ce qui a trait à la chasse à l’époque dans les cinq pays qui composaient l’empire dans l’Extrême-Orient français. Ce regard captivant sur une époque révolue est illustré de dix-neuf gravures en pleine page. Table des matières : La Chasse proprement dite ; Des diverses méthodes de chasse usitées ; Des différents procédés de capture des animaux sauvages usités par les indigènes et par les Européens ; La Race humaine autochtone de l’Indochine ; Des chiens de chasse ; De la réglementation éventuelle de la chasse en Indochine ; Mes débuts de chasse en Indochine ; Chasse aux canards sauvages, non loin de Saïgon ; Chasses dans la province de Tayninh ; Quelques chasses en région sauvage à Honquan, Province de Thudaumot ; Chasses dans la province de Bien-Hoa ; Excursion en haute région – Chasses sur les grand plateaux herbeux ; Chasse aux grands pachydermes et aux grands ruminants ; La Faune indochinoise de chasse.

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Critiques

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Paradis de Chasse

 

Je sais bien que les chasseurs rentrent jamais au logis sans rapporter un lièvre ou un faisan. Si ce malheur leur arrive, cependant, car tout est possible, en ce bas monde, quel est celui d’entre eux qui ne tient pas en réserve, pour l’expliquer, quelque fantastique histoire ? Tout Nemrod a dans le cœur un Gascon qui sommeille, prêt à se réveiller à la première alerte.

Il faut reconnaître, néanmoins, que les exploits cynégétiques deviennent de plus en plus difficiles dans nos vieux pays, où le gibier se fait rare, sans que, pour cela, le nombre des permis de chasse soit en décroissance. Sans doute, il faudra en venir à des mesures draconiennes, dans l’intérêt même des chasseurs, mais, en attendant, où donc nos « fusils » devraient-ils se transporter pour savourer des joies sans mélange dans l’exercice de leur plaisir favori ?

Tout simplement en Indo-Chine. C’est, parait-il, un vrai paradis de chasse. Jamais les Indiens dans leur conception de ces contrées giboyeuses où le Grand-Esprit enverra les vaillants guerriers après leur mort, n’ont osé rêver de semblables merveilles, telles qu’elles viennent de nous être révélées par M. Lucien Roussel, dans une longue étude documentée, aussi vivante que pittoresque. Là-bas, le gibier abonde, aquatique ou terrestre, petit ou gros, pacifique ou féroce ; il y en a pour tous les goûts et pour tous les courages, et il lui arrive d’être si pressé qu’il faudrait être le dernier des maladroits pour ne pas faire de nombreuses victimes.

Je renonce, au surplus, à énumérer les richesses de l’Indo-Chine sous ce rapport. Cet article n’y suffirait pas. Les espèces et les variétés s’y multiplient à l’infini. L’air, les eaux, les plaines, les bois sont peuplés avec profusion et, dès qu’on s’éloigne des habitations, on n’a vraiment que l’embarras du choix. Il en sera longtemps ainsi, pour ne pas dire toujours.

On chasse énormément, en Indo-Chine, et M. Roussel a pris soin de nous initier aux multiples méthodes en usage dans ces possessions françaises. On y chasse même de plus en plus, et cela se comprend, car rien n’est si aisé que d’aborder des régions giboyeuses. « On peut déjà voir, à la belle saison, de véritables exodes de chasseurs avec ou sans chien, le samedi et le dimanche, envahir les trains quittant Saïgon vers

Bien-Hoa et Phantiet, pour se répandre ensuite dans les diverses stations échelonnées dans la région forestière ou sauvage que traverse la voie pénétrant en Annam. » Il n’est pas indispensable d’aller bien loin. A quarante kilomètres de Saïgon commence un immense territoire couvert de forêts énormes alternant avec de vastes plateaux herbus, où fourmillent des animaux de toutes les espèces et de toutes les tailles.

Les Européens, au contraire des chasseurs indigènes, pratiquent la chasse aux chiens courants, sans préparation préalable, et seulement pendant les courtes heures de la matinée, la chaleur étant trop forte le reste du jour. Mais c’est un plaisir dispendieux, car les bons chiens sont rares en Indo-Chine, et il faut les faire venir d’Europe à grands frais. C’est là une première difficulté, qui s’augmente des risques de l’acclimatement. Ces braves animaux sont fréquemment victimes des insolations, sans compter le tribut qu’il leur faut souvent payer aux instincts féroces de Sa Majesté le tigre. Mais, enfin, on parvient tout de même à en conserver et, avec eux, la chasse est fructueuse, quoique non dépourvue de danger dans certains cas.

C’est ainsi que le man, sorte de chevreuil roux, qu’on rencontre sans peine, au point qu’il n’est pas surprenant d’en tuer deux ou trois en une heure, dans le même bouquet de bois, se lance volontiers contre les chiens. Armé de deux cornes à crochets et de deux crocs acérés, plantés dans sa mâchoire supérieure, cet animal se défend avec courage, et il lui arrive de découdre ses ennemis en un clin d’œil.

Quant aux bêtes fauves, si elles fuient d’ordinaire devant l’homme, elles guettent volontiers les chiens au passage et ont vite fait de leur allonger un coup de patte presque toujours mortel.

On peut chasser au chien d’arrêt, notamment au Tonkin et dans l’Annam. En Cochinchine, le terrain est moins favorable. « Encore n’est-il nullement besoin d’un chien pour chasser la bécassine, sauf dans les tout premiers jours ou dans les tout derniers jours de la saison, alors que cette sauvagine est rare ou raréfiée. Que faire d’un chien lorsque cette sauvagine vous part dans les jambes à chaque pas, lorsqu’à chacun de vos coups de fusil sept, huit, dix, s’envolent autour de vous ; ce serait vouloir affoler un chien et compromettre à jamais son dressage. »

L’historien de la Chasse en Indo-Chine estime d’ailleurs qu’il est préférable, dans la plupart des cas, de se passer de chien, mais il engage vivement les Européens à ne pas négliger la chasse en charrette à bœufs, dont on n’a pas chez nous la moindre idée.

« II ne faudrait pas croire, dit-il, que cette chasse consiste à suivre en charrette des chemins ou sentiers jusqu’à la rencontre problématique d’un gibier quelconque… Bien au contraire, on abandonne tout sentier ou chemin fréquenté dès qu’on se trouve à hauteur d’une région giboyeuse, et on se lance alors carrément à travers la forêt et la brousse. De nombreux indigènes excellent à conduire leur charrette avec le moindre bruit à travers des régions où la brousse est fort épaisse… Faisant virer et volter sur lui-même leur véhicule, ils lui font éviter merveilleusement tous les obstacles qu’il rencontre. »

Le chasseur est assis à l’arrière de la charrette, dominant le terrain. « Le conducteur contourne avec soin les moindres boqueteaux, semés au milieu des grandes herbes et recherchés des cerfs, et, tout en surveillant et conduisant ses bœufs, il fouille d’un regard perçant, en même temps que le chasseur la sonde lui-même, l’épaisseur du feuillage, qui peut receler un chevreuil ou un cerf, couché et immobile, à quelques mètres à peine de la charrette. Les Annamites raffolent de ce genre de chasse, qu’ils pratiquent aussi bien de jour que de nuit, soit à la lumière, soit à la faveur du clair de lune. »

Une autre originalité, chère aux indigènes, mais que les Européens ne dédaignent pas, c’est la chasse au chevreuil et au cerf au moyen d’un appeau formé de morceaux de paillotes sèches, liés ensemble, et dont on se sert pour imiter le cri de l’animal. Mais il faut bien connaître ce cri et l’imiter parfaitement. D'autre part, il convient d’être deux, car celui qui tient l’appeau n’a pas toujours le temps de le lâcher pour mettre son fusil en joue.

Il existe une autre raison pour qu’on soit deux, de manière à surveiller le voisinage en arrière et en avant. Il n’est pas rare, en effet, en appelant un chevreuil ou un cerf, de faire venir un hôte qu’on n’attendait pas, le tigre, qui se méprend à votre appel et s’avance en rampant vers votre place, où il croit surprendre l’animal qu’il a entendu bramer. Surprise peu agréable, assurément, mais quand il n’en résulte rien de fâcheux, elle ajoute à l’intérêt de la partie et constitue un impressionnant souvenir, de ceux que l’on aime à conter devant un auditoire attentif.

Bien entendu, pour les volatiles, on ne manque pas d’employer l’appeau vivant, complice malgré lui du meurtre de ses semblables. On chasse aussi à la battue, avec filet, ce qui est à la portée de tout le monde et n’exige pas de connaissances spéciales. L’affût compte de même de nombreux adeptes, mais ici le danger peut être sérieux il faut de l’adresse, de la présence d’esprit et un coup d’œil juste. Du reste, on n’en finirait pas s’il fallait mentionner toutes les méthodes cynégétiques en honneur en Indo-Chine.

Mais comment ne pas signaler la plus récente, celle que favorisent les voies superbes qui sillonnent une partie de la Cochinchine, en traversant à chaque instant des contrées forestières infiniment riches en gibier ? Depuis trois ou quatre ans, on chasse là-bas en automobile, et principalement le lièvre, pendant la nuit. L’animal, éclairé par les phares, fuit devant la voiture, d’où le tir, paraît-il, devient d’une facilité inouïe. Et c’est ainsi qu’une fois de plus le progrès se transforme en agent de destruction !

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Jean Frollo

Le Petit Parisien, 23 décembre 1913

 

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Rééditions

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Chasses en Indochine. Récits vécus. Cochinchine 1893-1908

Paris : Montbel, 2010, 20 cm, 161 p.

Collection Les aventuriers voyageurs

ISBN 978-2-35653-027-1

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Réédition de 2010

Paris : Montbel, 20 cm, 161 p.

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