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Femmes d'Asie et d'ailleurs
Auteur : Réginald d'AUXION DE RUFFE

Edition originale : Paris : Editions Bossard, 1929, 19 cm, 314 p.

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Critiques

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Le nouveau livre de M. R. d’Auxion de Ruffé contient une réunion d’histoires extraordinaires pas tout à fait à la manière de celles d’Edgar Poe, mais plutôt du genre et de la qualité de celles qui sont appelées à figurer sur la scène du Grand Guignol. L’auteur les situe toutes – sauf la dernière – dans ces pays d’Asie mystérieux, fantastiques et extraordinaires eux aussi, Colombo, Singapour, Saïgon, Hong Kong, la Chine, le Japon…

Histoires de femmes d’Asie et d’ailleurs, Européennes de qualité qui se prostituent pour de l’argent à des hommes de toutes races, métisses équivoques, parvenues de lupanars qui trouvent une proie facile dans la personne des grands industriels de là-bas ou des riches colons parfaitement avertis en affaires mais tout à fait naïfs en amour, américaines missionnaires, comédiennes de l’illumination, voleuses, escrocs et maître-chanteuses ; il ne manque personne à la collection, même pas l’ancêtre, la guenon pithécanthrope, dont l’auteur nous raconte l’union libre avec un blanc.

De toutes ces histoires la plus curieuse, la plus émouvante peut-être, est celle de ce ménage américain, l’honorable Dr Stanley Parker, pasteur évangéliste et sa femme la digne mistress Parker, tous les deux missionnaires, surpris en Chine par la guerre civile, par la guerre actuelle des brigands, alors qu’ils y étaient venus vingt ans auparavant pour y prêcher le bon combat du Christ par la douceur et par la bible. Mariée sans amour et par la volonté de son père, la jeune Ethel devenue mistress Parker, n’a jamais connu que les joies du devoir. Rien ne l’avait appelé vers le Dr Parker, ce grand homme maigre, au profil sévère, à la longue redingote au nez pincé sous les lourdes lunettes d’écaille. Bien au contraire, ses regards étaient restés longtemps attachés sur une autre image, celle d’un beau et solide gaillard aux yeux clairs, aux larges épaules, nommé Joe Miller que l’absurde volonté paternelle avait écarté. Et voici que dans le drame qui la prend, au milieu des horreurs de la tuerie et du pillage, devenue captive des brigands, « sa foi s’est effondrée avec les ruines de sa chère mission : une sorte de bandeau s'est déchiré et une personnalité nouvelle vient de se révéler ». La femme naît, et avec elle s’est réveillée la lourde ancestralité de ses aïeules, de ces fortes filles du Middle West, promptes à l’amour comme à la bataille. La bestialité dont elle est entourée au milieu des bandits monte à son cerveau comme un fumet puissant et capiteux. Elle prend en pitié son pauvre diable d’époux qu’elle voit les lunettes de travers, l’air hagard, invoquant inutilement le secours de Dieu, et elle a presque de l’admiration pour son bourreau, le chef des bandits, un Chinois à la puissante carrure qui de temps à autre vient contempler ses captifs d’un air sombre tout en caressant la crosse de ses pistolets. Et quand le drame s’achève, quand elle vient de voir fusiller à deux pas d’elle son mari et qu’avant que son martyre à elle se consomme, elle est foulée par une ignoble brute « dont les mains se fourvoient où jamais celles d’un époux se sont hasardées » c’est « dans un cri suprême, dans l’horreur exquise de sa chair meurtrie, qu’Ethel Parker, ministre de Dieu, ayant entrevu le Ciel pour la première fois, la gorge serrée entre les griffes terribles qui l’étouffent quitte cette terre de joies et de douleurs profondes »…

Si M. d’Auxion de Ruffé n’a point vu, comme il est probable, ce drame s’accomplir, il faut reconnaître qu’il l’a très bien conté.

 

Émile Cordonnier

Bulletin de l’Agence économique de l’Indochine, 1ᵉʳ mai 1929

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Références

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François Doré, Les Ecrivains de l'Indochine, n° 78, Réginald d'Auxion de Ruffé, in Le Souvenir français de Chine

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